L'instrumentalisation de l'antisémitisme
Categories: Antisémitisme, Apartheid et colonialisme
Dès qu’on parle d’antisémitisme, on est obligé d’être prudent. Trop souvent, des militantes et des militants engagé.es pour la Palestine se plaignent de l’infamie qu’on leur envoie : « vous critiquez Israël ? Vous êtes des antisémites ». Amnesty International, après un très long travail d’investigation, a abouti à la conclusion (évidente) qu’Israël est un État d’apartheid et c’est l’hallali : autant Amnesty est « crédible » quand il dénonce les crimes de Poutine ou la persécution des Ouighours, autant s’il s’agit des crimes d’Israël, c’est une diffamation « antisémite ».
Élias Sanbar, dans le film « Le Char et l’Olivier » de Roland Nurier l’explique bien : cette accusation a un but, que les détracteurs d’Israël « la bouclent » ! Qu’un interdit existe !
Il faut savoir que la délégitimation de l’adversaire, surtout depuis les premiers succès de l’appel BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) est devenue une question centrale pour les dirigeants sionistes.
En 2015, plusieurs dirigeants israéliens dont Reuven Rivlin, le président de la République de l’époque, Peretz Lavie, président du Technion de Haïfa et Ben Dor Yemini, journaliste au Yediot Aharonot, le principal quotidien israélien, se sont réunis avec d’autres pour étudier la lutte contre tous ceux qui « délégitiment Israël ».
Les campagnes orchestrées pour discréditer ceux qui déplaisent aux dirigeants sionistes sont devenues monnaie courante.
Jeremy Corbyn est la victime la plus connue de l’accusation d’antisémitisme. Il était vital qu’il ne soit pas élu, il risquait d’en finir avec le soutien inconditionnel britannique aux exactions israéliennes. « Electronic Intifada », qui est une publication sur Internet, a enquêté sur les tweets antisémites qui ont envahi le site du parti travailliste. Ils émanaient de gens qui n’ont pas d’existence physique et ils ont trouvé tout autant de tweets antisémites sur le site du parti conservateur. Corbyn, éberlué, s’est mal défendu. La veille de l’élection, le grand rabbin d’Angleterre a appelé à voter contre lui et il a été battu, pour la plus grande joie des sionistes et de la droite du parti travailliste.
Et l’épouvantail Corbyn a (à nouveau mais sans succès cette fois) été utilisé pour essayer de disqualifier deux candidates parisiennes de la NUPES qui avaient obtenu le soutien de Corbyn.
En France, il aura suffi que le député communiste Jean-Paul Lecoq dans un projet de résolution signé par une trentaine de députés, dénonce l’apartheid, pour que le PCF et la NUPES soient taxés d’antisémitisme par le gouvernement, le CRIF et toute une série de « personnalités ».
La confusion entretenue
Tout historien un peu sérieux ou toute personne qui veut s’informer sait que l’assimilation antisionisme/antisémitisme répétée mécaniquement par M. Macron, est une imposture intellectuelle et historique qui n’honore franchement pas celles et ceux qui la profèrent.
L’antijudaïsme chrétien et l’antisémitisme racial ont frappé une communauté humaine, les Juifs, considérés comme des « parias asiatiques inassimilables ». L’antisémitisme a fonctionné avec des stéréotypes meurtriers (le peuple déicide, la race inférieure …).
Avant le nazisme, les antisémites désiraient avant tout que les Juifs quittent l’Europe. Ils ont donc accueilli avec joie le sionisme. Cette idéologie de la séparation a considéré d’entrée que Juifs et non-juifs ne pouvaient pas vivre ensemble et que les Juifs devaient partir ailleurs. Quand Herzl écrit « L’État des Juifs », Édouard Drumont, célèbre polémiste antisémite, dit de lui « ce monsieur fait notre bonheur en faisant le sien ». Quand l’empereur allemand Guillaume II apprend qu’un congrès sioniste est en préparation, il demande à son ministre de l’intérieur surtout de ne faire aucun obstacle à ce projet. Il n’y a aucune contradiction entre le Édouard Balfour faisant des déclarations antisémites contre les ouvriers juifs polonais révolutionnaires en 1905 et l’auteur de la fameuse déclaration Balfour en 1917.
Jusqu’à 1940, l’antisémitisme a persécuté les Juifs parce qu’ils vivaient en Europe avec la volonté qu’ils partent. Défendre les Juifs, ce n’est en aucun cas soutenir une idéologie qui, estimant l’antisémitisme inéluctable, veut les faire partir.
Le sionisme n’a pas combattu l’antisémitisme, il s’est appuyé sur lui pour favoriser ce qu’il appelle l’alyah (la montée) qui est en fait un colonialisme de peuplement. Et quand les Juifs rechignaient à partir, tout a été fait pour les y pousser.
Combattre l’antisémitisme, c’est combattre un racisme qui est allé jusqu’à l’extermination planifiée, c’est exactement le contraire du soutien à une idéologie colonialiste, suprématiste et raciste. Le sionisme a abusé les Juifs en faisant passer frauduleusement un projet colonial pour un projet d’émancipation.
Droite, extrême droite et racistes de tout poil au côté d’Israël.
Droite et extrême droite en France ont été majoritairement antisémites à l’époque de l’affaire Dreyfus ou du régime de Vichy. Aujourd’hui, on entend ces courants politiques tenir les pires propos contre les Noirs, les Arabes, les Roms, les Musulmans mais contre les Juifs, c’est interdit, ce qui ne les protège pas au contraire. Le soutien inconditionnel à Israël a fait passer, dans leurs têtes, les Juifs du côté des dominants.
Tout ce que le monde compte de racistes, de suprématistes, d’islamophobes et d’antisémites … soutient aujourd’hui sans réserve Israël :
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les Chrétiens sionistes, fers de lance de la colonisation pour qui les Juifs qui ne se convertiront pas à la « vraie foi » doivent disparaître.
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Victor Orban qui a gagné des élections hongroises en s’en prenant au « Juif Georges Soros ».
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Les dirigeants des partis d’extrême droite néerlandais, flamand, allemand … qui ont tous fait le voyage en Israël à l’invitation de leur ami Avigdor Lieberman.
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Jaïr Bolsonaro pour qui les « Nazis étaient de gauche ».
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Donald Trump et son acolyte Steve Bannon …
En France, le groupe parlementaire d’amitié France-Israël a été (jusqu’à son décès) présidé par un ancien du groupe Occident : Claude Goasguen. Le CRIF a été longtemps dirigé par Francis Kalifat, un ancien du Bétar, une milice sioniste d’extrême droite particulièrement violente qui faisait des entraînements militaires en Italie fasciste dans les années 1930.
En Israël, les dirigeants versent dans le négationnisme à l’image de Nétanyahou affirmant « qu’Hitler ne voulait pas tuer les Juifs » et que c’est le grand mufti de Jérusalem qui lui a soufflé l’idée.
Vis-à-vis des Palestiniens, le langage est sans équivoque.
Bennett : « J’ai tué beaucoup d’Arabes, je ne vois pas où est le problème ». Ou Ayelet Shaked : « les mères palestiniennes doivent être tuées et leurs maisons détruites de telle sorte qu’elles ne puissent plus abriter de terroristes ».
Retour en France : Gilles-William Goldnadel, qui multiplie les procès pour « antisémitisme » contre tous les soutiens à la cause palestinienne, est l’avocat de « Génération identitaire » et a parlé de « colonies de peuplement contre l’avis des autochtones » en Seine Saint-Denis.
Michel Onfray dont la dérive réactionnaire semble sans fin parle « des synagogues qui brûlent ». Nous lui conseillons un petit voyage à Gaza ou à Jénine pour voir ce qui brûle réellement.
Bref, c’est le monde à l’envers : des racistes et des suprématistes instrumentalisent un crime contre l’humanité et l’extermination programmée d’une communauté humaine pour soutenir et justifier l’apartheid et la négation des droits des Palestiniens. Ils n’ont aucun droit à parler d’antisémitisme. De la part de racistes, c’est une obscénité. (...)